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domingo, 24 de outubro de 2010

Les Cubains épuisés par l’Histoire

LITÉRATURE
Les Cubains épuisés par l’Histoire
L’écrivain cubain Leonardo Padura est l’un des auteurs invités au festival America qui se tient du 23 au 26 septembre à Vincennes. De passage à Miami, il évoque son dernier roman et la situation de son pays.


Interview de Leonardo Padura (en français)
FICHES PAYS
Cuba


A paraître chez Métailié en janvier 2011 sous le titre L’Homme qui aimait les chiens.

Biographie
Leonardo Padura est né en 1955 à La Havane, où il réside. Cet ancien journaliste d’investigation est aussi essayiste et scénariste. Mais il est surtout connu comme auteur de romans policiers. Sa tétralogie Les Quatre Saisons (Passé parfait, Vents de carême, Electre à La Havane et L’Automne à Cuba, tous parus dans la collection Points Policier), centrée sur le personnage du lieutenant Mario Conde, lui a valu plusieurs distinctions, dont le prix Hammett. Le polar est pour lui un prétexte pour parler de la société cubaine et faire l’examen de conscience de sa génération.

Infatigable et obstiné, fort d’une discipline à l’épreuve des tentations, Leonardo Padura prépare son prochain opus tout en mettant la dernière main à deux scénarios de courts-métrages pour le film collectif Siete Días en La Habana [Sept jours à La Havane], qui sera tourné par un aréopage de réalisateurs du monde entier.

Mais, pour l’heure, Padura doit répondre au succès de son dernier livre publié, El Hombre que amaba a los perros*. Ce roman part de l’assassinat de Trotski par Ramón Mercader pour décrire une parabole déchirante sur les utopies et les totalitarismes du xxe siècle, dont l’écho résonne fort dans la Cuba d’aujourd’hui.

Publié en Espagne, le livre n’est pas encore dans les librairies de Cuba, où Padura vit, écrit et bénéficie d’une grande popularité auprès des lecteurs. L’édition espagnole circule toutefois sous le manteau, et Padura avoue la satisfaction qu’il éprouve à recevoir, jour après jour, des messages de fans qui le remercient d’avoir écrit ce livre. Le romancier a récemment profité d’un séjour à Miami pour rendre visite à sa famille et à ses amis. Padura a toujours placé ses principes de fidélité avant les divergences politiques et les rituels idéologiques qui divisent la société cubaine. C’est à cette occasion qu’il a répondu à nos questions.

La critique a voulu voir dans El Hombre que amaba a los perros l’histoire destructive d’une utopie, la métaphore de l’invention totalitaire du socialisme et la reconstruction littéraire de l’un des crimes les plus révélateurs du monde moderne. Ces définitions vous conviennent-elles ou bien estimez-vous qu’il y a autre chose dans ce roman ?
C’est cela, et c’est un peu plus que cela. Avant tout, c’est une réflexion sur la façon dont l’utopie la plus importante du xxe siècle a été pervertie, cette utopie que les hommes poursuivent depuis que le genre humain existe, cette utopie que des philosophes et des penseurs ont commencé à édifier dès les xvie et xviie siècles. Depuis cette époque, l’homme aspire en premier lieu à une société offrant une liberté totale et le plus de démocratie possible. C’était la promesse du socialisme quand il a triomphé en Union soviétique. Et la perversion de cette utopie est le point de départ de mon roman. Elle est envisagée dans une perspective historique mais aussi métaphorique, car le protagoniste cubain du roman, Iván, n’est pas un personnage réel, c’est le seul être de fiction du livre. Je l’ai construit à partir de nombreux récits de vie cubains, beaucoup d’histoires vraies qui ne sont pas arrivées à un seul individu, mais à beaucoup, ce qui leur donne une dimension symbolique.

L’une des révélations du roman est la protection dont a bénéficié Ramón Mercader à Cuba…
C’est effectivement révélateur, parce que Mercader est le personnage qui est au centre de l’un des événements les plus importants du XXe siècle. L’assassinat de Trotski fut une sorte de “régicide”, même si l’homme n’avait aucun pouvoir politique effectif. Et, en même temps, Mercader est quelqu’un dont on ne connaît pas l’histoire parce que, précisément, il fallait qu’il fût un homme sans histoire. C’est-à-dire que toute l’histoire de Ramón Mercader a été créée pour qu’il puisse faire ce qu’il a fait et pour que, par la suite, il ne révèle pas ce qu’il avait fait. Quant à son séjour à Cuba, c’est un épisode qui ne revêt aucune signification historique particulière. Il ne voulait pas vivre en Union soviétique. Sa femme, la Mexicaine Rogelia Mendoza, qu’il avait rencontrée quand il était en prison à Mexico, ne voulait pas davantage y habiter. Ils n’avaient pas été autorisés à se marier en prison, autrement il aurait pu rester vivre au Mexique. Mais les Mexicains ne voulaient pas de lui. Il a d’ailleurs été expulsé du pays le jour même de sa libération. Ils sont donc allés à Cuba parce que c’était le seul refuge proche, en quelque façon, des univers auxquels ils appartenaient l’un et l’autre : l’Espagne pour Mercader, le Mexique pour son épouse.

Comment a-t-on réussi à cacher l’identité de Mercader à Cuba ?
Mercader vivait pratiquement incognito à Cuba. Je connais des gens qui allaient chez lui, qui étaient amis avec Arturo et Laura, les enfants de Mercader – enfin, pas de Mercader, car, à Cuba, il s’appelait Jaime Ramón López –, et qui pensaient que c’était un républicain espagnol. Ils ne s’étaient jamais douté que cet homme était le fameux Ramón Mercader. Seul un cercle très restreint de vieux militants communistes qui avaient connu sa mère avaient maintenu des rapports avec lui. C’était un secret jalousement gardé. Il y a une anecdote très éloquente à ce sujet : les médecins qui ont diagnostiqué et qui ont traité son cancer se sont rendus en Argentine au lendemain de son décès. Dans l’avion d’Aerolíneas Argentinas, on leur a distribué un journal où figurait la photo de l’assassin de Trotski qui venait de mourir à Cuba. Ils n’ont compris qu’à ce moment-là qui était vraiment leur patient Jaime Ramón López…

Vous avez largement décrit la réalité cubaine dans vos romans et nouvelles. Comment décririez-vous la situation actuelle de l’île, non plus en tant qu’auteur de fictions mais en tant que citoyen lambda ? Quel est l’avenir de ce présent qui a fait son temps ?
Il y a à Cuba un problème fondamental, dont je parle dans mon roman Les Brumes du passé [Métailié, 2006], et qui n’a fait que s’aggraver avec les années : l’épuisement. Je pense que Cuba est un pays qui éprouve une fatigue de l’Histoire. Les gens en ont assez de sentir ou de s’entendre dire que leur pays vit des moments historiques. Ils ont envie de vivre dans la normalité. Dans un pays où la prostitution a cessé d’être un métier réprouvé et devient dans bien des cas une planche de salut pour l’économie des ménages, avec la bénédiction et l’admiration de toute la famille, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Tout comme il y avait quelque chose de pourri au royaume du Danemark à l’époque de Hamlet.

Un pays dont la plupart des habitants doivent aller chercher des moyens de survie à la marge de la légalité, voire au-delà, et le font avec une parfaite désinvolture, comme s’il s’agissait d’ activités absolument normales, est confronté à un sérieux problème. Le gouvernement lui-même – qui est l’employeur de 90 % des Cubains – a reconnu que les salaires qu’il verse à ses employés sont insuffisants pour vivre, ce qui est une façon de reconnaître que les gens doivent chercher d’autres moyens pour survivre. Et quand quelqu’un, à Cuba, espère par exemple pouvoir joindre les deux bouts grâce aux 100 ou 200 dollars qu’un parent peut lui envoyer des Etats-Unis, du Mexique ou d’Espagne, ou en se lançant dans une activité complètement illégale, c’est le signe que nous sommes face à une société qui a des problèmes. Ces problèmes ont un coût social et moral qui constitue le principal obstacle à surmonter dans un avenir immédiat.

Dans cette société désorientée, où se situe la jeunesse cubaine, que pense la génération du futur, à quoi aspire-t-elle et comment affronte-t-elle la réalité sociale ?
L’un des problèmes les plus graves pour l’avenir de Cuba tient au fait que la plupart des jeunes du pays émigrent ou envisagent d’émigrer, et qu’il s’agit dans la majorité des cas de gens bien formés, qui devraient assumer les responsabilités de demain. Dans les domaines sociaux, dans les universités, dans la vie économique du pays. Parallèlement, tout un pan de cette jeunesse est profondément dépolitisé et souhaite tout simplement vivre sa vie. Les jeunes d’aujourd’hui sont très différents de ceux que nous étions il y a vingt ou trente ans. Cela explique l’existence de tribus urbaines assez nombreuses, comme les emos, les freakies (rockers), les rappeurs, les reggaetoneros, qui abordent la vie selon des perspectives assez provocatrices et peu orthodoxes. Au bout du compte, c’est une génération beaucoup moins engagée politiquement, même si la propagande officielle continue d’affirmer le contraire.

Comme des millions de Cubains, vous avez de la famille des deux côtés du détroit de Floride. Quelle est à votre sens l’importance de la famille comme espace de réconciliation nationale, au-delà des réticences des gouvernements ?
La famille a joué un rôle essentiel pour faire évoluer les relations bilatérales. La famille cubaine a résisté et a imposé ses valeurs dans les périodes les plus difficiles. Comme chacun sait, il y a eu des moments de tension extrême : si votre mère vivait aux Etats-Unis et vous à Cuba, le simple fait d’entretenir des relations avec elle vous reléguait aux marges de la société. Fort heureusement, cet état de choses a disparu depuis longtemps déjà, et la famille cubaine a prouvé qu’elle était capable de surmonter tous les obstacles que lui imposaient les circonstances du différend. Les liens familiaux entre les deux rives représentent le pilier le plus solide pour tout processus futur dans l’île.

Je sais que vous êtes venu chercher des pistes et des personnages à Miami pour votre prochain roman. De quoi s’agit-il ?
J’ai décidé de reprendre le personnage de Mario Conde, comme je l’avais fait déjà dans Les Brumes du passé, en complexifiant l’intrigue. Je pense maintenant à un livre dont la thèse fondamentale serait la liberté comme condition humaine, comme nécessité humaine, comme concept philosophique, comme état de vie… Une vision très large de la liberté. L’histoire commence en 1640, dans l’atelier de Rembrandt à Amsterdam, et elle s’achève à La Havane à l’époque actuelle. Le personnage-clé devrait être un Juif polonais ayant vécu trente ans à Cuba, où il se passe un événement qui déclenche l’intrigue du roman. Voilà l’idée.

Note : * éd. Tusquets, Barcelone, 2009. A paraître chez Métailié en janvier 2011 sous le titre L’Homme qui aimait les chiens.
Festival America

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